Jacques BOCHER, infatigable passeur de mémoire.

Publié le 12 Février 2024

Jacques BOCHER, né à Amiens le 11 décembre 1924 ,est décédé le 12 janvier 2019.  Il a été enterré au cimetière du Petit-Saint-Jean le vendredi 18 janvier 2019. Il fut un infatigable  passeur de mémoire auprès des plus jeunes, témoignant de nombreuses fois de son parcours dans différentes classes. « Il faut témoigner, disait-il, pour éviter de reproduire les mêmes erreurs, témoigner pour ceux qui ne sont pas rentrés ».  

 « Je venais d'avoir 18 ans en décembre 1942. Dans le courant du mois de février 1943, ma mère reçoit un courrier, qui m'était adressé provenant de la kommandantur allemande. J'apprenais par ce courrier que j'étais réquisitionné pour le travail obligatoire en Allemagne (STO).  
Pour éviter des problèmes à ma famille, je suis parti avec l'intention de m'évader au moindre arrêt du train en France. Le train ne s'étant pas arrêté, je me suis retrouvé en Allemagne (ville de Bochum) dans un camp de travailleurs.

Refusant de travailler, j'ai été arrêté un matin au petit jour avec un autre camarade amiénois dont j'avais fait connaissance dans le train ; il s'appelait Raymond PECHEUR, il avait 20 ans. Nous avons été enfermés dans la prison de la ville de Bochum et condamnés à la déportation. On nous fit monter à bord d'un fourgon blindé, direction Buchenwald. J'y suis resté 3 mois (bloc 44 petit camp, matricule 6231) et ensuite la carrière. Un matin, sorti des rangs sur la place d'appel avec beaucoup d'autres camarades, nous fumes embarqués dans des wagons à bestiaux, sans nourriture ni eau, pour se retrouver dans le Ghetto de Varsovie, et logé dans la prison. Il a fallu construire, le camp n'étant pas existant (baraquements, barbelés, miradors) avec l'aide de Polonais en travaux forcés. Je portais le matricule 124. Je suis resté 11 mois dans ce camp à démolir ce qui restait des maisons en ruines. 

Nous avons subi le grand froid de Pologne. Nous cherchions dans les ruines tout ce qui pouvait nous protéger du froid (papiers, cartons et chiffons) pour doubler le dessous de notre veste de costume rayé et couvrir les pieds dans nos sabots. Le typhus se déclara dans le camp ce qui fit beaucoup de victimes.

Un matin, sur la place d'appel, ordre de quitter le camp pour une "Marche de la Mort", l'armée russe n'étant pas loin, je venais de faire 11 mois dans ce camp (KLWarchau). Cette marche a duré 3 jours sans nourriture et sans eau. Les camarades qui tombaient étaient laissés sur place et nous continuions à marcher. Ils étaient condamnés à mort. Les 2 premières nuits nous les avons passées dans un champ. Nous marchions le troisième jour depuis le matin quand la colonne s'arrêta brusquement. Les SS venaient d'apercevoir des wagons à bestiaux sur une voie. On nous fit monter dans ces wagons ; après quelques heures de trajet le train s'arrêta, nous étions devant l'entrée du camp de Dachau quand les wagons se vidaient en laissant beaucoup de morts à l 'intérieur.

Moi-même ne pouvant me tenir debout, pour moi c'était la fin du trajet. Je fus transporté au revier du camp, un médecin français s'y trouvait, il m'a pris en charge et m'a remis sur pieds, mon matricule était 90792. Je suis resté 4 mois dans ce revier et je suis reparti dans un transport wagon à bestiaux sans nourriture et sans eau ; direction le camp de Blaichard, Kommando extérieur de Dachau dans 1e Tyrol Autrichien. Je suis resté 7 mois, je travaillais dans une usine (BMW).   Un matin sur la place d'appel nous évacuons le camp pour une seconde marche de la mort, direction le Col du Brenner où une jeunesse hitlérienne nous y attendait.

Nous traversons une forêt immense, touffue, je me suis évadé avec 3 camarades, pris en chasse par les SS et leurs chiens ; quand nous nous sommes retrouvés devant un cours d'eau descendant de la montagne nous nous sommes jetés dans cette eau, ce qui fit perdre notre trace, trouvant au passage un abri de bûcherons, nous y avons passé la nuit afin de nous reposer et au petit matin nous sommes redescendus de la montagne et avons  retrouvé une route qui était la direction qui allait vers le camp que nous avions quitté. Celui-ci n'étant plus gardé par les SS, nous nous y sommes cachés pendant 3 jours.

Un camarade faisait le guet sur le toit et nous avertirait lorsqu' arriveraient des chars. Cette fois, c'étaient les chars Leclerc, nous étions libérés.  Nous avons attendu quelques jours pour être rapatriés et nous nous sommes mis à la recherche de quelques vêtements plus chauds afin de remplacer notre tenue rayée. Notre retour en France s'est effectué en G.M.C, la traversée du Rhin la nuit et retour par le train direction Paris. Après les examens obligatoires gare de l'Est, Hôtel Lutétia et Amiens pour retrouver mes parents qui ne pensaient plus me revoir.  Quand à mon camarade Raymond PECHEUR, il n'a pas eu ma chance, il est décédé à Dora. Ma déportation a duré 25 mois, j’avais 20 ans et ne pesait plus que 37 kilos ».  

Pour entendre plusieurs  témoignages de Jacques
BOCHER

Publié dans #In memoriam

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