René LAOUT
Publié le 15 Février 2024
recherchant les traces de mon père, j’ai croisé celles de ses frères qui jouèrent tous un rôle, à des degrés divers, dans la victoire de notre pays. Ces hommes, modestes comme maints résistants de la Somme, ne se vantèrent jamais de leurs exploits, qui me furent décrits par bribes, au cours de rares rencontres familiales. Mes grands-parents avaient eu cinq fils et trois filles.
Voici l’histoire de René LAOUT, le fils aîné, qui fut un extraordinaire résistant et voulut toujours minimiser le rôle qu’il avait joué.
L’oncle René, était gendarme. Sergent-major, il commandait la brigade de Saint-Sauflieu, au sud d’Amiens. Lui et tante Yvonne, ont eu cinq enfants.
Sa première fille, Sylviane, s’est mariée en novembre 1944 et je me souviens qu’il est venu nous accueillir pour le mariage à la gare d’Amiens. J’avais 8 ans. Avec son air bourru, sa grosse moustache et son uniforme, il m’inspirait la crainte mais cachait en fait un cœur très généreux.
La gare était en triste état à cause des bombardements, il fallait marcher sur des planches pour retrouver la voiture qui nous emmena à Saint-Sauflieu. Strasbourg ne fut libérée que le 23 novembre. Les stalags perduraient. Toute la famille attendait le retour de Gabriel mon père et de son beau-frère Robert. Malgré les restrictions, ce fut un long repas de mariage au cours duquel chacun était invité à chanter. Et ma mère chanta « Je pense à toi, mon prisonnier… » Sur l’air de « J’irai revoir ma Normandie… » Réalise-t-on aujourd’hui l’émotion de tels moments qui m’ont marqué pour la vie ?
Durant la guerre, René eut une conduite héroïque. En enquêtant d’abord au sein de la famille, je découvris l’ampleur de ses actes courageux dont il ne fit jamais état. Janine, ma marraine, m’a rappelé dernièrement, que durant la guerre, elle passa quelques jours dans la famille de René. Un soir elle dit à son oncle qu’elle repartait le lendemain, mais il lui interdit: « Non, non pas question, pars quand tu voudras mais pas demain ! ». Elle apprit par la suite qu’un train de munitions avait sauté. Grâce à ses fils, mes cousins et mes recherches personnelles, je perçois aujourd’hui l’importance du rôle joué par René LAOUT. Après la guerre ses camarades voulurent demander pour lui la légion d’honneur. Il refusa, prétextant que ce qu’il avait fait tout le monde l’aurait fait.
« Ce gradé de haute valeur morale et militaire, s’est dépensé sans compter pour la cause de la Libération » disent ses supérieurs en le citant à l’Ordre du régiment, en lui attribuant également la Croix de guerre. « Il a réussi dès le début de l’occupation à constituer un dépôt d’armes. A recueilli, hébergé, puis fait rapatrier 24 aviateurs alliés tombés sur notre sol. Ayant constitué un groupe de 50 combattants, a pris une part très active aux opérations de Libération, en capturant 123 prisonniers dont 2 officiers ».
Gérard, l’aîné de ses fils m’a raconté comment il avait fait entrer à la gendarmerie, trois Américains poursuivis par la police de Vichy. A la hâte, il les planqua dans la pièce contigüe et referma la porte. Il courut s’asseoir en mettant ses deux jambes sur le bureau en une pause qu’il voulait décontractée et allumait sa bouffarde quand brusquement les vichystes firent irruption : « Où sont-ils ? – qui ? – Les Américains ! – Pas ici, je n’ai pas bougé ! ». S’ils avaient ouvert la porte, René aurait été passé par les armes. Les Résistants de Saint-Sauflieu échappèrent de peu à une catastrophe. Ils découvrirent à temps un traître qui s’apprêtait à les dénoncer.
Sauver un aviateur américain durant la guerre est en soi un acte héroïque mais puni de mort.
En sauver 24 comme l’a fait René LAOUT à la tête de ses hommes, fait de la gendarmerie de Saint-Sauflieu un haut lieu de résistance à l’envahisseur, endroit que tous ces combattants tombés du ciel tentaient de rejoindre quand ils étaient avertis. Les Américains l’ont compris.
René LAOUT reçut un hommage du Président des Etats-Unis au nom du peuple américain signé de la main du Général en chef Dwight D.EISENHOWER.
Parmi tous ces aviateurs américains l’un d’entre eux resta particulièrement attaché à la famille de René LAOUT, le sous-lieutenant Georges M. MICKELS, abattu près de Caen, dans son B17 et fait prisonnier ensuite.
René LAOUT et Georges MICKELS correspondirent durant de longues années. Georges MICKELS rêvait de revenir en France et de retrouver cette famille qui l’avait sauvé en août 44, en le faisant passer pour un cousin qui n’avait pas toute sa tête.... Il ne parlait pas français.
Malheureusement les deux hommes moururent avant les retrouvailles et ce sont les enfants qui se rencontrèrent le 25 avril 1999. Connie MICKELS, la fille du Lieutenant a fait le voyage.
Bernard, le benjamin des fils de René LAOUT, me narra l’histoire du Lieutenant MICKELS que son père lui avait racontée. Il m’apprit également que Connie MICKELS avait écrit un petit livre retraçant l’épopée de son père en France mais que ce livre était désormais introuvable. Ma passion prit le dessus comme d’habitude et je finis par le récupérer après plusieurs mois d’attente. On l’avait trouvé au Royaume Uni. Un véritable trésor. Les lignes de Connie sont traduites par l’une de ses connaissances et je dois faire de gros efforts parfois pour comprendre en reprenant l’anglais…Mais là n’est pas l’essentiel.
Connie a cherché les traces de son père…J’ai cherché les traces de mon père …Et voici qu’un jour un auditeur venu assister à deux de mes réunions vint se présenter. Cet Amiénois était le fils d’un soldat allemand et d’une Française…Lui aussi avait cherché son père reparti vers l’Allemagne après la guerre. Cet homme avait fini par se trouver une famille allemande mais son père était mort depuis deux ans. Il fut accueilli à bras ouverts. L’idée ne m’était jamais venue que des fils de soldats allemands puissent aussi chercher leur père… Lors de la libération, j’ai assisté à des exactions que j’ai racontées dans mes mémoires…, Comme toujours ce sont les femmes qui ont trinqué.
Le sous-lieutenant MICKELS échappa plusieurs fois à la mort. Quand le B17 est tombé, cinq aviateurs ont péri. Deux survécurent. MICKELS, après avoir été fait prisonnier, fut ensuite repris par des SS quelque peu éméchés, avec plusieurs aviateurs alliés. Craignant des suites fâcheuses après la capture, il décida de s’enfuir. Les autres furent assassinés. Les SS le cherchèrent en vain et abandonnèrent la poursuite. Dans la commune des Hogues où sont enterrés les soldats, on a perpétué le souvenir…
Après avoir marché avec un autre groupe de prisonniers, Georges M. MICKELS finit par trouver la résistance de Saint-Sauflieu. La suite nous la connaissons et Connie ne tarit pas d’éloges sur l’accueil que lui ont réservé les membres de la famille LAOUT, des mots que son héros de père venu dans un avion pour délivrer la France du nazisme lui a probablement enseignés au long de sa vie.
Elle leur a dédié son livre.
Je ne connais pas Connie mais je me sens très proche de cette Américaine. Mes recherches rejoignent celles qu’elle a accomplies. Je tente comme elle de m’élever contre l’oubli de ces hommes qui, durant la guerre, n’ont jamais mesuré les risques qu’ils prenaient quotidiennement. Leurs combats, leurs souffrances, leurs sacrifices ont permis à la France de retrouver sa liberté.
En créant un stock d’armes dès la capitulation, René LAOUT a toujours cru que tout n’était pas perdu. Ils étaient peu nombreux à garder espoir quand la France s’écroulait.
Arthur LAOUT, son père, mort quelques années auparavant, qui présidait déjà une association de parents d’élèves en 1927 (!!), aurait été fier de voir ses enfants manifester un tel esprit républicain...
Jean-Marie LAOUT